Milton Becerra, né en 1951 au Venezuela, plasticien, vit et travaille à Paris.
Milton Becerra vit à l’age de pierre, mais de la pierre cirée plus encore que polie. De la pierre en suspension, prise dans un réseau de fils de chanvre et de cordages tressé qui créent d’étranges chapelets aériens baroques et barbares.
L’artiste vit au milieu d’une toile d’araignée donc les sécrétions pétrifiées constituent autant d’asteroide-fétiches. Son univers est ce lui d’un antre clos, une caverne donc la lucarne déboucherait sur une forêt vierge de l’Orénoque. Le Venezuela a amplement projeté à l’extérieur l’image d’un art géométrique -cinétique qui s’accorderait bien avec le brutalisme de sa nouvelle architecture. Le jeu optique des couleurs sur le ciment, telle était l’image de la modernité du pays à l’apogée de l’ère du pétrole, la traduction de sa richesse industrielle sur le plan des arts plastiques.
Milton Becerra appartient à une autre génération vénézuélienne, la nouvelle, celle qui a été beaucoup plus sensible aux contradictions qu’à la logique du système socio -culturel et qui doit affronter aujourd’hui le contexte d’une économie en crise. Il représente aussi l’autre face de son pays, muette, cachée, immémoriale, celle qui se détourne des gratte-ciels de Caracas et des derricks de Maracaibo, celle qui exprime la réalité du grand fleuve et de la grande forêt, le prolongement de l’Amazonie. Une présence immense et sourde, oblitérée par la façade moderniste et trépidante de la côte atlantique : l’indien de l’Orénoque a appris à tourner le dos à la mer. C’est dans la clandestinité du silence qu’il perpétue sa légende, sœur de la légende amazonienne. Et c’est dans cet esprit du silence que s’élabore, jour après jour l’œuvre de Milton Becerra. Une œuvre mystérieuse et rituelle qui est le reflet d’une immense mémoire en voie de disparition et qui ne veut pas mourir. Une œuvre hors du temps : l’artiste passe des heures et des heures à frotter ses pierres en les imprégnant de cire fondue, de façon à leur communiquer l’infinie douceur de la patine des anciens âges.
L’homme est fort, trapu, maître de soi. Tout est dans le regard profond, vif, d’une extrême acuité: quand il vous fixe, vous ressentez le sang froid de l’immensité verte qui coule dans les veines de Milton Becerra. C’est le sang originel et authentique de sa terre, celui qui continuera à couler au Venezuela une fois tari le brûlant filon d’or noir. Face à la société de consommation et à son ciment armé Milton Becerra défend et illustre la continuité de l’âge de pierre, il y a là de la magie et de l’exorcisme certes, mais surtout de l’amour et de l’espoir. De l’espoir dans l’Homme.
Pierre Restany
Grand Prix Tribew 2017 / Maison des Artistes
dans la catégorie Installation
Le jury réunissait, Madeleine Filippi (Curatrice), Marie Gayet (Critique d’art, journaliste, curatrice), Yves Kneusé (Scénographe), Eve de Medeiros (Fondatrice et directrice de DDESSIN), Popy Loly de Monteysson (artiste), Olivier Louf-Meersseman (Collectionneur), Francis Jolly (Photographe, curateur, Directeur de collection photo Tribew), Isabelle Muheim et Louis-Laurent Brétillard co-fondateurs des éditions Tribew