Plasticien, Naji Kamouche vit et travaille à Mulhouse.
Comme beaucoup d’artistes qui sont à la croisée de cultures, Naji Kamouche a pris la vie, voire sa vie, comme matériau. Il a en quelque sorte mis la vie en forme, pour la faire passer du singulier d’une biographie à l’universel d’une œuvre. Mais il y’a chez lui une attention aux potentialités que recèlent les objets du monde. Il en transforme la charge affective pour en faire des condensateurs d’énergie et d’affect. Avec un art subtil, il sait marier le tragique de la vie avec l’impérieuse nécessité de défier le présent pour l’ouvrir au futur. Dans ses installations, se déploient des amalgames d’objets dont l’anodine qualités est sublimée en légendes qui sont souvent les légendes noires de nos vies. On voit d’un coup la mélancolie du Monde, les blessures non fermées de la vie investir les matériaux, les objets et les couleurs. Avec lui on sait que le néon peut écrire les butées d’une vie, un rouge définir les contours d’un destin, une poignée de porte envahir le mur comme une litanie ou une empreinte de l’ombre d’un autoportrait. On sait que l’art est nourri et est porteur de récits et d’histoires ; encore faut-il, pour qu’il puisse s’arracher à la simple conjecture, qu’il arrive non seulement à cristalliser en lui cette materia prima qu’est l’histoire des corps, des vies et des identités mais encore à les remodeler : afin de leur permettre de se métamorphoser. Pour faire en sorte qu’une rencontre avec une œuvre puisse reconfigurer notre rapport aux choses, être un point de bascule qui vient bousculer l’ordre du monde. Et c’est cette qualité qui porte les œuvres de Naji Kamouche. Il nous fait percevoir les blessures d’une vie comme une béance qui vient creuser les failles de nos vies trop lisses. Il sait d’un coup faire surgir les revers des choses. Chez lui la cire scelle l’écheveau d’une vie pour mieux nous entraîner dans les fils d’Ariane de nos mémoires apeurées. Il entrebâille des espaces d’inquiétude ou de réminiscence : éclats de sourdes déflagrations que le cours des choses nous avait fait enfouir dans la grisaille des jours. Une horloge vient scander les déchirements d’une vie, un chausson nous fait d’un coup traverser les rives de nos cultures, comme dans les claustras de certaines églises espagnoles où s’esquisse l’entrecroisement entre l’islam et la chrétienté.
Philippe Cyroulnik