Entre vérités qui dérangent et comédie moderne : plongée dans « Fallait pas le dire » au théâtre

Entre vérités qui dérangent et comédie moderne : plongée dans « Fallait pas le dire » au théâtre #

L’origine familiale et créative d’une œuvre sur-mesure #

De la demande singulière d’une mère à la scène d’un théâtre contemporain, « Fallait pas le dire » trouve ses racines dans l’histoire familiale de Salomé Lelouch. Écrite spécifiquement pour Évelyne Bouix et Pierre Arditi – sa mère et son beau-père – cette comédie assume une dimension profondément personnelle tout en s’arrogeant la liberté de la fiction. Lelouch nourrit son texte des personnalités affirmées et contrastées de ce couple d’acteurs reconnu, tout en maintenant une distance narrative permettant une universalité du propos.

  • La démarche créative s’ancre dans une volonté de confronter l’intime et le sociétal, de donner voix aux tensions générationnelles et aux discussions qui rythment chaque foyer, dans ce qu’ils ont de plus révélateur.
  • En 2022, la généalogie du texte se révèle dans la complicité entre les acteurs originaux et la dramaturge, conférant à la pièce une justesse de ton rarement atteinte, qui séduit à la fois les amateurs de théâtre classique et les spectateurs en quête de modernité.

Il ne s’agit pas simplement d’un hommage familial, mais d’un double jeu où le vécu alimente la création, tout en offrant au public une réflexion sur la transmission, le dialogue et le choc des idées.

Une construction en saynètes : miroir du quotidien et de la société #

« Fallait pas le dire » adopte une structure originale en saynètes autonomes, fractionnant la pièce en une série de tableaux courts et incisifs. Ce choix dramaturgique permet de multiplier les points de vue et d’explorer une palette étendue de situations, chacune abordant un sujet de société spécifique sans jamais sombrer dans le didactisme.

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  • Questions de genre ou d’environnement, débats sur la religion, réflexions sur les nouvelles technologies, droits des femmes, la pièce prend pour point d’appui des préoccupations contemporaines bien réelles.
  • Chaque saynète esquisse une tension, un malaise ou un éclat de rire, révélant la complexité des rapports humains dans un quotidien saturé de normes et d’interdits implicites.

Les exemples concrets ne manquent pas : une dispute autour du port du voile lors d’un repas familial, une discussion sur l’usage de la trottinette électrique qui dérape, ou un échange sur la difficulté à exprimer une opinion personnelle dans une société hyperconnectée, chaque scène reflète les tiraillements de notre époque.

Le jeu subtil entre le vrai et le faux sur scène #

Salomé Lelouch excelle dans l’art du mensonge théâtral. Les personnages de « Fallait pas le dire » jonglent sans cesse avec la vérité, proférant parfois ce qu’ils ne pensent pas, ou masquant l’essentiel derrière des réparties cinglantes.

  • Ce dispositif narratif trouble délibérément les frontières entre authenticité et jeu, amenant le spectateur à interroger ce qu’il entend, ce qu’il perçoit, et ce qu’il croit savoir de l’intimité des personnages.
  • L’effet de miroir est saisissant : le public assiste à la mise à nu d’un couple supposé ordinaire, mais où la sincérité se drape souvent de non-dits ironiques ou de silences lourds de sens.

Cette construction ajoute une dimension ludique et réflexive : qui dit vrai ? Où se situe la frontière entre la comédie et la confession ? Nous y percevons un écho direct à nos propres échanges quotidiens, où l’on pèse chaque mot, conscient du risque de franchir le seuil du « il ne fallait pas le dire ».

Actualisation et diversité des distributions sur scène #

Si l’œuvre fut conçue pour être le terrain de jeu de deux comédiens majeurs, sa reprise s’est distinguée par une multiplication des distributions, à l’image de la version montée en Belgique avec Catherine Conet, Alain Leempoel, Hélène Theunissen et Bernard Yerlès.

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  • La pièce s’offre de nouvelles lectures grâce à la diversité d’interprètes et de couples représentés, incluant des duos homosexuels, des configurations générationnelles variées, et une alternance de regards masculins et féminins.
  • Ce choix d’adaptation permet à la pièce de refléter la pluralité des modèles de couple contemporains et d’élargir la portée de son message universel.

En évoluant ainsi, « Fallait pas le dire » gagne en profondeur et en pertinence, s’imposant comme un objet théâtral modulable, à l’image de la société qu’elle observe. Ce renouvellement constant offre au spectateur la possibilité de se reconnaître, quels que soient son âge, son orientation ou sa trajectoire de vie.

Thèmes actuels : entre liberté de parole et autocensure contemporaine #

Au cœur de la pièce, une interrogation vive sur la liberté de parole et la tentation de l’autocensure. Nous assistons à une véritable satire des nouveaux interdits qui régissent les conversations privées et publiques.

  • Des sujets délicats tels que la GPA (gestation pour autrui), la pédophilie, le port du voile ou l’hyperconnexion via les réseaux sociaux sont abordés de front, toujours avec une ironie mordante mais empreinte d’une certaine bienveillance.
  • La pièce interroge frontalement où commence le droit de dire, où s’arrête le respect de l’autre, et jusqu’où peut aller le franc-parler sans sombrer dans la transgression ou l’offense.

Nous retrouvons dans cette exploration une tension palpable : l’envie de se libérer du carcan des opinions « acceptables » face à la peur du jugement ou de la mise au ban sociale. Le théâtre sert ici de laboratoire pour observer les conséquences concrètes de la libération ou de la répression de la parole.

Entre théâtre et réalité : une illusion comique moderne #

Par des allers-retours maîtrisés entre scènes de vie privée et scènes de répétition, Salomé Lelouch cultive une illusion comique qui brouille constamment la ligne de séparation entre réalité et fiction.

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  • Les comédiens passent parfois de la dispute à la connivence en un clin d’œil, comme s’ils répétaient un rôle ou dévoilaient soudain la coulisse de leur vie.
  • Ce procédé scénique stimule l’attention du public, qui se retrouve complice de ces jeux de dupes, toujours incité à remettre en cause la véracité des sentiments et des propos échangés sur scène.

Cette alternance, en impliquant le spectateur dans le doute, génère un sentiment d’identification inédit mais aussi de questionnement : sommes-nous témoins d’une vraie querelle conjugale ou d’un simple exercice de style ? « Fallait pas le dire » réussit ici le tour de force de donner à la comédie une profondeur et une ambiguïté rare.

Impact et réception : nominations et échos auprès du public #

Couronnée de trois nominations aux Molières 2022, « Fallait pas le dire » a rencontré un succès public et critique indiscutable. Le texte, par sa finesse d’écriture et la force de ses dialogues, séduit tant les spectateurs avertis que ceux désireux de s’interroger sur l’état du débat contemporain.

  • La pièce a retenu l’attention du public par des représentations à guichets fermés dans plusieurs théâtres majeurs à Paris et en Belgique, confirmant l’appétence actuelle pour un théâtre qui sait faire rire tout en interrogeant les grandes questions de société.
  • Les critiques saluent la qualité d’interprétation des comédiens, leur capacité à insuffler vie et nuance à des personnages tour à tour drôles, touchants ou agaçants.

Pour nous, spectateurs, cette pièce s’impose comme un révélateur de nos contradictions et de nos propres inhibitions. Elle permet de rire tout en questionnant, de prendre du recul sur ce que nous disons ou choisissons de taire, et de débattre encore longtemps après la tombée du rideau.

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